18 juin 2009

Le roi et sa cour

Aucun détail n'a été laissé au hasard dans l'organisation du Congrès, convoqué lundi 22 juin à Versailles pour une allocution présidentielle. Surtout pas le protocole. Car la République est affaire de symboles.
Tout un cérémonial, réglé au millimètre, a dû être inventé pour faire face à cet événement politique inédit, permis par la «modernisation des institutions» de juillet dernier. Le casse-tête était évident: comment la représentation nationale, théoriquement à cheval sur ses prérogatives et la séparation des pouvoirs, devait-elle accueillir le chef de l'Etat français? Avec quels honneurs? Quelle distance?
Car aucun président de la République (à l'exception de Louis Napoléon Bonaparte parachevant son coup d'Etat et d'Adolphe Thiers aux prémices de la Troisième République) n'a jamais pénétré – physiquement – dans un hémicycle parlementaire. Depuis toujours, pour s'adresser aux sénateurs et députés, le chef de l'Etat devait se cantonner à faire lire des messages écrits par des tiers.
Nicolas Sarkozy affectionnant les «grandes» premières, le président de l'Assemblée nationale et du Congrès, l'UMP Bernard Accoyer, a donc accouché, ces dernières heures, d'un protocole qui fera sans doute jurisprudence. Mediapart en dévoile quelques détails. Ils sont forcément significatifs des rapports de pouvoir à la tête de l'Etat.
En premier lieu, c'est un «triumvirat», composé des patrons de l'Assemblée et du Sénat ainsi que du premier ministre, qui viendra «réceptionner» Nicolas Sarkozy à sa descente de voiture, dans une cour du château de Versailles. Une drôle de délégation, diront certains: pourquoi donc François Fillon, qui n'appartient pas à la «force invitante», devrait-il aller chercher le président de la République à sa descente de cortège?
Pour Denys Pouillard, directeur de l'Observatoire de la vie politique et parlementaire, ce «comité d'accueil» signe «un véritable abandon de pouvoir» du chef de gouvernement au chef de l'Etat. Ni plus, ni moins. Pour comprendre l'ampleur du symbole, sans doute faut-il se souvenir que Nicolas Sarkozy avait initialement demandé, à l'été 2007, une réécriture de l'article 20 de la Constitution, qui précise: «Le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation.»
À cette époque, le nouvel hôte de l'Elysée avait espéré biffer le premier verbe, «détermine», pour s'approprier lui-même cette fonction. Sous prétexte de «clarifier» les rôles entre le chef de l'Etat et le premier ministre, il avait souhaité les redistribuer, pour officialiser l'hyperprésidence. Comme la gauche et nombre d'élus de droite avaient manqué s'étrangler, Nicolas Sarkozy avait reculé in fine. Lundi 22 mars, en tout cas, le premier ministre (qualifié un jour de simple «collaborateur» par le président de la République) «conduira» surtout Nicolas Sarkozy – jusqu'à l'aile du Midi, où siègent les parlementaires.
«Je ne vois pas le problème, réagit pour sa part le constitutionnaliste Guy Carcassonne, favorable depuis le départ à la «modernisation des institutions», comme à l'instauration d'un droit d'allocution présidentielle devant les parlementaires. Ça veut simplement dire que les numéros 2, 3 et 4 de la République viennent accueillir le numéro 1. C'est logique!» Dans l'entourage de Bernard Accoyer, on se réjouit mercredi: «Ce sera un moment fort, très solennel.»
Ensuite, Nicolas Sarkozy, qui n'a tout de même pas poussé jusqu'à prévoir une rencontre avec les parlementaires, remontera l'allée avec le seul président de l'Assemblée, qui le mènera jusqu'au salon réservé qui lui servira de bureau. Sur son passage, les Gardes républicains rendront les honneurs. Bernard Accoyer s'est toutefois réservé un «privilège»: lui seul, avant son entrée dans l'hémicycle, aura droit aux roulements de tambour. Une vétille, dans toute cette pompe. Mais un moyen, diront certains, de marquer malgré tout son territoire.
À gauche, enfin, quelques élus ne comprennent pas que Bernard Accoyer ait pu décider, mercredi 17 juin dans l'après-midi, d'inviter au Congrès les ex-présidents de la République (Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac), ainsi que la «ribambelle» d'anciens premiers ministres (dont Dominique de Villepin...). Ils voient dans cette initiative, qu'ils soupçonnent dictée par l'Elysée, une forme de mégalomanie. Là encore, ces réactions agacent Guy Carcassonne: «Ils prendront juste place dans les tribunes, avec le public!, relativise le professeur de droit. Qu'aurait-on dit si les anciens présidents n'avaient pas été conviés?! Ne pas le faire, à mon avis, aurait été discourtois.»
Lundi, en tout cas, la République enterrera définitivement le «cérémonial chinois», expression qui désigne l'ensemble de règles introduites dans la Constitution en 1873 pour interdire explicitement au chef de l'Etat de discourir à sa guise dans l'hémicycle. Peut-être parlera-t-on, désormais, d'un «cérémonial Sarkozy». Une page est tournée.

Non sans ironie, Guy Carcassonne rappelle toutefois que le «cérémonial chinois» avait été imaginé par la majorité monarchiste de l'Assemblée nationale pour circonscrire l'influence grandissante du Président Thiers, jugé bien trop républicain...

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