19 juin 2009

C'est le tour de MAM!


Le conseil d'Etat a infligé, vendredi 19 juin, un camouflet à la ministre de l'intérieur, Michèle Alliot-Marie, en donnant satisfaction à l'ancien directeur central des renseignements généraux (DCRG), Yves Bertrand. Le haut fonctionnaire, au cœur d'une polémique depuis la divulgation par Le Point d'extraits choisis de ses carnets personnels – qui avaient été saisis, sans être exploités, par les juges de l'affaire Clearstream –, avait réclamé en vain la protection juridique de l'Etat.
Dans ces calepins, le policier avait consigné informations, rumeurs et ragots concernant de nombreuses personnalités, politiques notamment. Plusieurs d'entre elles ont déposé plainte, au premier rang desquelles Nicolas Sarkozy, persuadé de longue date que M. Bertrand était membre d'un «cabinet noir» chiraquien qui aurait comploté contre lui.
La «protection juridique» réclamée par Yves Bertrand consiste en la prise en charge par l'Etat de ses frais de justice – voire des amendes exigées par un tribunal en cas de procès et de condamnation. C'est la règle depuis 1983 quand un «agent public» est impliqué – ou susceptible de l'être – dans une procédure judiciaire.
Il existe au moins deux célèbres précédents en la matière : l'affaire des paillotes brûlées en Corse, au cœur de laquelle se trouvait le préfet Bernard Bonnet; celle des écoutes illégales de l'Elysée sous François Mitterrand, qui provoqua la mise en cause du commandant Christian Prouteau. Dans ces deux cas, le ministère de l'intérieur avait pris à sa charge la défense des fonctionnaires poursuivis – et sur qui pesaient des soupçons extrêmement lourds, qui leur valurent d'ailleurs d'être condamnés.
Comme l'avait révélé Mediapart, dans une lettre envoyée le 30 octobre 2008 à Me Basile Ader, qui défend l'ancien patron des RG, le ministère de l'intérieur affirmait ne pouvoir «donner une suite favorable à la requête» en invoquant... le caractère «privé» des carnets incriminés.
«Ainsi que l'intéressé l'a lui-même déclaré aux médias, [...] M. Bertrand a tenu ces carnets à titre privé, et donc sous sa seule responsabilité. Dès lors, sa demande de protection juridique n'entre pas dans le champ d'application des dispositions de l'article 11 de la loi précitée qui assurent la protection fonctionnelle des agents publics», était-il indiqué dans ce courrier, signé de Laurent Touyet, le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) de la place Beauvau, qui agissait, ainsi que le précisait la missive, «par délégation, pour Mme la ministre de l'intérieur».
L'avocat de M. Bertrand, tout en déplorant le refus du ministère d'accorder à son client la protection juridique qu'il réclamait – il avait d'ailleurs saisi le conseil d'Etat –, n'avait pas manqué de pointer que, de par sa formulation, la réponse de Mme Alliot-Marie faisait son bonheur. « Les contradictions apparaissent au grand jour! Lorsque l'on tord le droit de manière aussi évidente que cela a été le cas dans cette affaire au détriment de mon client, on arrive à des situations incohérentes, voire aberrantes, comme celle-là », déclarait l'avocat à Mediapart le 20 novembre 2008.
Et Me Ader d'expliquer : « De deux choses l'une : soit M. Bertrand a outrepassé sa mission, et, dans ce cas, il l'a nécessairement fait dans le cadre de ses fonctions et doit donc bénéficier d'une protection juridique. Soit, et c'est apparemment désormais l'avis de la ministre de l'intérieur, ces carnets n'avaient rien à voir avec son travail et relèvent totalement de la sphère privée, auquel cas mon client n'a pas commis le début du commencement d'une faute, et encore moins d'un délit

Au vu de la décision du conseil d'Etat, que Mediapart a pu consulter, c'est la première solution qui a été retenue. A savoir qu'en notant informations et rumeurs sur ces carnets, M. Bertrand était dans son rôle de patron des RG.
Le conseil considère ainsi «qu'il n'est pas contesté que les carnets de notes en cause comportent essentiellement, outre quelques indications ayant trait à la vie privée de leur auteur, des informations recueillies par M. Bertrand à raison de sa qualité de directeur central des renseignements généraux, obtenues grâce aux moyens du service et utilisées dans l'exercice de ses fonctions; que dès lors, tant les attaques dont M. Bertrand s'estime être victime que les poursuites pénales dont il est l'objet à la suite de la révélation de ces carnets, doivent être regardées comme étant en relation avec les fonctions qu'il a exercées en sa qualité de directeur central des renseignements généraux».
Le conseil d'Etat ajoute que, «par suite, le ministre, qui ne soutient pas que d'autres motifs, tels notamment qu'une faute personnelle, feraient obstacle à l'octroi de la protection sollicitée, a commis une erreur de droit en estimant que la protection demandée par M. Bertrand à raison de ces attaques et poursuites n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions précitées de l'article 11 de la Loi du 13 juillet 1983; qu'il suit de là que le requérant est fondé à demander l'annulation de la décision attaquée».
Pour conclure, le conseil annule donc la décision attaquée, et «enjoint» au ministère «de réexaminer la demande de M. Bertrand dans un délai d'un mois». Il ordonne aussi à l'Etat de «verser à M. Bertrand une somme de 2500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative». Une somme modique mais dont la portée symbolique n'échappera à personne.

Mediapart

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