12 juin 2009

Devinette : qui cultive la démagogie sécuritaire ?


Nous publions intégralement ci-dessous une lettre ouverte signée par le bureau national du Syndicat de la magistrature, en date du 11 juin, qui dénonce les poncifs et fausses évidences sécuritaires, faits et chiffres à l’appui. Un rappel toujours salutaire, doublé d’un petit jeu : à vous de deviner à qui la missive est adressée.

"Vous avez récemment adressé une lettre ouverte au garde des Sceaux pour dénoncer la « surdité face aux nouvelles réalités de notre société » dont feraient preuve « des magistrats du siège » du tribunal de grande instance de ... (dévoiler d’emblée le lieu rendrait la devinette trop facile !, NdA) Cette démarche, menée conjointement avec un élu UMP, fait suite à de « violents affrontements » dans cette ville, dont vous imputez implicitement la responsabilité à ces juges, en soulignant au passage le « sentiment de totale impunité » dont jouiraient « la plupart des mineurs délinquants ». Votre courrier reflète selon nous une perception caricaturale des questions pénales et une méconnaissance inquiétante pour un élu des principes élémentaires de l’Etat de droit. On y retrouve, condensés, tous les ingrédients de la démagogie sécuritaire qui sévit en France depuis plusieurs années et qui a déjà largement démontré sa nocivité : exploitation de faits divers, exagération du phénomène de la récidive, approche impressionniste des causes et de l’évolution de la délinquance, stigmatisation de la jeunesse, réduction du problème de l’insécurité des classes populaires à la seule question du maintien de l’ordre public, dénonciation du prétendu laxisme des juges, fantasme du « terrain » et monopole de la « réalité », mépris caractérisé pour la séparation des pouvoirs… Vous avez d’ailleurs repris cette posture simplificatrice dans une tribune publiée quelques jours plus tard par Le Figaro sous le titre Lutter contre la délinquance sans esprit partisan, où vous releviez les prétendus « râtés de la chaîne pénale » et fustigiez les « nombreux délinquants multiréitérants » qui « font trop souvent l’objet d’un simple rappel à la loi ».

Idéologie sécuritaire à visée de rentabilité politique
Avant de vous laisser poursuivre cette petite musique binaire, il n’est peut-être pas inutile de vous rappeler que : les peines d’emprisonnement représentent un tiers des peines prononcées à l’égard des 13-16 ans et près de 40% à l’égard des 16-18 ans ; lorsqu’une personne est condamnée en récidive, elle se voit infliger une peine d’emprisonnement dans 80% des cas ; le « taux de réponse pénale » ne cesse d’augmenter, passant de 67,9% en 2000 à 83,6% en 2007 (91,5% pour les mineurs). Quoi que l’on puisse penser de ces statistiques et de l’opportunité de cette sévérité, la justice est donc loin d’être aussi laxiste que vous le laissez entendre. Quant à la réalité de la délinquance, il doit être souligné que : la part des mineurs dans l’ensemble des personnes mises en cause par la police et la gendarmerie ne cesse de diminuer, passant de 22% en 1998 à 18% en 2007 ; la récidive est un phénomène globalement en baisse depuis plus de dix ans . Par ailleurs, vous devez savoir que : l’emprisonnement ferme a plus que montré ses limites en matière de lutte contre la délinquance, notamment violente, laquelle serait en augmentation malgré la multiplication des textes répressifs ; cette politique aveugle, privilégiant sans cesse l’enfermement, conduit à un taux de surpopulation carcérale inégalé, dont personne ne peut ignorer les conséquences désastreuses, en particulier l’augmentation des suicides en détention, notamment de mineurs. Vous auriez pu également vous souvenir que les élus n’ont pas vocation à dire aux juges de leur circonscription comment juger dans telle ou telle affaire, en vertu du principe fondamental de l’indépendance de la magistrature que vous qualifiez de « pleinement légitime » pour mieux le piétiner ensuite. Par de telles prises de position, vous refusez de rompre avec l’idéologie sécuritaire que vous considérez sans doute comme un gage de rentabilité politique. Nous le regrettons sincèrement."

Venons-en à notre devinette : qui est l’auteur de la lettre au garde des Sceaux et de la tribune publiée par Le Figaro ? Les anciens se souviennent peut-être de la publicité des années 80 pour le soda Canada Dry : à l’époque de la prohibition aux États-Unis, les incorruptibles d’Eliott Ness font irruption dans ce qui ressemble à un bar clandestin, persuadés de cueillir des consommateurs d’alcool. Mais il font chou blanc, les convives buvant du Canada Dry, comme l’explique le slogan que nous citons de mémoire : "son nom sonnait comme un nom d’alcool, sa bouteille ressemblait à une bouteille d’alcool, mais ce n’était pas de l’alcool". Reprenons la lumineuse définition de la démagogie sécuritaire donnée par le SM : "exploitation de faits divers, exagération du phénomène de la récidive, approche impressionniste des causes et de l’évolution de la délinquance, stigmatisation de la jeunesse, réduction du problème de l’insécurité des classes populaires à la seule question du maintien de l’ordre public, dénonciation du prétendu laxisme des juges, fantasme du « terrain » et monopole de la « réalité », mépris caractérisé pour la séparation des pouvoirs…" Qui a tenu mille fois ce discours, jusqu’à en faire sa marque de fabrique ? C’est là le piège : on jurerait du Sarkozy, mais c’est du Canada Dry.

"Les habits neufs de la gauche" ? C’est la gauche Canada Dry. La gauche de droite. La gauche de Manuel Valls.


Sources
Sur le site de l’organisation : Lettre ouverte du Syndicat de la magistrature à Manuel Valls, député-maire d’Évry.
Dans Le Figaro : Lutter contre la délinquance sans esprit partisan.
Présentation de l’ouvrage La frénésie sécuritaire par Le magazine de l’homme moderne.
Sur Plume de presse : Manuel valse avec la droite.

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