2 juil. 2009

Pourquoi se voiler la face alors qu’on porte déjà une burqa ? (réflexions, pour une fois décousues, sur les médias et l’Iran)



Jamais je ne demanderais pardon au nom des Etats-Unis - quelles que soient les raisons."
réaction du Président George Bush (père)
après qu’un avion de ligne régulière iranien
ait été abattu par un missile états-unien en 1988

J’aime bien les révolutions. Vous aussi non ? Comme je vous comprends. Toute cette agitation, toute cette société en mouvement. Cette ambiance bon enfant et ces banquiers que l’on fusille à l’aube, ces journalistes que l’on pend à midi et ces politiques que l’on étripe le soir. Et dire que la nuit ne fait que commencer, qu’elle promet d’être longue et que toi non plus tu n’as rien de mieux à faire… (Ben quoi ?!? On peut rêver, non ?)

Alors, lorsque j’ai entendu « viens voir, y’a la révolution ! » je me suis de suite interloqué « Mon Dieu, mais où ça ?!? » tout en me précipitant à la fenêtre armé d’une fourche que je range sous mon lit depuis des années en attendant cette occasion. « Là, regarde ! » Mais où ça meeeerde, je ne vois RIEN !

Etais-je devenu aveugle ? Les scènes paisibles de la rue devant moi n’étaient-elles donc qu’une hallucination ? Un festival de souvenirs anciens que mon cerveau projetait dans ce ciné-club à la dérive que ma raison était devenue ? Qu’à cela ne tienne, aveugle ou pas, je n’allais pas rater mon rendez-vous avec l’histoire.

« O, guide moi, ma douce. Prend ma main et sois témoin de qu’elle ne tremble pas. Prend-la, ma mie, et plante cette fourche dans le gras d’un manant que tu auras choisi pour moi. Et si mes yeux errent dans le noir, que mon geste soit ferme et que ma main sente la légère résistance du tissu de la veste avant que les pointes ne s’enfoncent dans la chaire molle et que ne giclent les… »

- « Là, à la téloche. Y’a une révolution à la téloche ».

- Ah ouais, maintenant je vois.

Ca faisait si longtemps que je n’avais pas regardé un écran de télévision pour autre chose qu’un film. Là, c’était « les infos » comme ils disent (sans déconner). Avant, j’étais comme vous. Je regardais. Oui, vautré aussi, devant la télé. Me curant le nez, comme vous, exact, devant la télé. Oui, et ça aussi, mais juste une fois, et devant la télé.

Une fois sevré, c’est dur d’y revenir. C’est là que l’on se rend compte à quel point elle est agressive, polluante et débile. Vous croyez me comprendre, parce que vous intellectualisez bien l’idée, mais je vous assure que vous ne pouvez pas vraiment comprendre si vous n’avez pas essayé. Après des années passées sans télévision, m’assoir devant ce truc pendant plus de 10 minutes me rend nerveux. Parfois, histoire de faire plaisir, je me plie au cérémonial. Puis vers 1 heure du matin je découvre qu’il n’y a plus de pop-corn, que nous étions dimanche et que maintenant c’est lundi et que oh p’tain je dois me lever tôt et enfin que je ne sais plus très bien comment je m’appelle ni comment je suis arrivé là. Une vraie cochonnerie vous dis-je. Mais comme tous les camés, vous ne m’écoutez pas vraiment. Tant pis, j’aurais essayé.

Aimer la révolution, c’est bien. En parler avec sa voisine, c’est encore mieux.

- Alors, c’est quoi cette révolution à la télé ? Ils ont enfin embauché de vrais journalistes ? CA, ça serait une révolution !

- « Mais non, regarde, y’a des arabes qui gueulent à cause d’une élection qu’on leur a volée. »

- Bah, l’assurance les remboursera.

- « Rigole pas, c’est comme en Chine, là, sur la place Bir Hakheim ou j’sais pas quoi ».

- Tienanmen ?

- « Ouais. Sauf que c’est des arabes - en Iran. »

Et soudain mon intérêt est piqué au vif. Alors au diable les principes, ce ne sont pas quelques minutes devant ce rectangle luminescent qui vont me tuer, quand même, que diantre. La suite est une reconstitution réalisée grâce aux boites noires retrouvées dans le salon après que mon cerveau ait explosé en plein vol.

- Ce ne sont pas des arabes, ce sont des Perses.

- « Qu’est-ce que t’en sais ? T’es déjà allé en Persie ? »

- Ben non, mais…

- « Alors qu’est-ce que t’en sais ?!? Et si ce n’est pas des arabes, pourquoi ils sont habillés en arabes ? »

- Ils ne sont pas habillés EN arabes, ils sont…

- « Hé ! Ecoute, écoute ! ils viennent de dire « musulmans » à la télé… t’entends ? Musulmans ! Alors tais-toi, tu ne peux pas tout savoir de toute façon et là tu as visiblement atteint les limites de ton incompétence. »

- M’enfin, tous les musulmans ne sont pas des arabes !

- « Oh toi, tu vas encore me parler de Cat Stevens… Et même qu’il y aurait a contrario quelques chanteurs arabes convertis au christianisme, qu’est-ce que ça change, au fond ? »

(Y’a pas un film qui passe sur une autre chaîne ?)

- « La preuve : regarde le type dans la manif qui passe devant la caméra, là. Il porte un t-shirt noir avec le logo Armani plus large que le t-shirt lui-même ».

- Et alors ?

- « Y’a qu’un arabe pour porter aussi ostensiblement un faux t-shirt Armani. Oh ! Et celle là, regarde, avec des lunettes de soleil Gucci. Tu sais combien ça vaut une vraie paire de Gucci ? »

- Tu es sûrement la seule personne que je connaisse qui peut assister à une révolution en directe et t’attarder sur les marques de…

- « Remarque, t’as peut-être raison. Il se pourrait qu’ils ne soient pas arabes… »

- Ah, tu vois, puisque je te dis que ce sont…

- « …peut-être des juifs, parce que les juifs aussi maitrisent l’art de l’ostentation ringarde, sais-tu ? »

(Pitié.)

- Porter un t-shirt Armani prouverait plus une appartenance à une classe sociale qu’à une ethnie, tu sais…

- « Stop ! j’t’arrête toute suite. Ce n’est pas parce qu’on est arabe qu’on peut pas être bourgeois ! Tu fais ch… avec tes préjugés… »

- Mais je dis le contraire !

- « Tu avoues te contredire, c’est mieux que d’habitude. Oh, écoute, ils font la révolution verte par le biais d’Internet. Ils sont vraiment cools. Ecolos ET branchés. Musulmans, mais modernes ! »

- Lorsqu’ils auront épuisé la palette pour colorier leurs « révolutions spontanées » (sauf le rouge, évidemment), les américains passeront peut-être aux prénoms, comme pour les cyclones. Au fait, je crois que la couleur verte fait plutôt référence à l’Islam qu’à l’écologie.

- « Quoi ? Tu dis que Cohn-Bendit serait musulman et pas écolo ? Mais tu délires complètement… »

- …

- « Au fait, pourquoi tu parles des Américains ? Tu vois encore des Américains partout ? T’as été voir ce médecin que je t’avais conseillé ? »

- En fait, j’en sais rien. Je croyais en avoir vu à Bagdad mais je n’ai jamais été en Irakie alors c’est peut-être juste des rumeurs. Au fait, pourquoi ils manifestent ?

- « parce qu’ils ont perdu les élections. Ils sont pas contents parce qu’ils auraient du les gagner »

- Du les gagner ? Il y a eu fraude électorale alors.

- « Tu m’étonnes ! Qui voterait pour Ahmadinejad ? Pas moi en tous cas. »

- Alors, Ahmadinejad a gagné ou pas ? Il y a eu fraude ou pas ?

- « Pourquoi tu me cherches des poux ? Fraude ou pas fraude, il faut les soutenir ces gens. On est en train de défendre la démocratie là »

- Euh… S’il n’y a PAS eu fraude, et si tu soutiens les manifestants, alors tu es en train de soutenir quelque chose qui ressemble à une tentative de coup d’état…

- « Coup d’état ? Mais tu vois bien que ce ne sont pas des militaires. Tu veux un coup d’état ? Va voir au Honduras, là c’est un coup d’état. »

- Là-bas, ils ont coupé tous les moyens de communication, fermé les médias indépendants, arrêté les journalistes, pour que le peuple ne puisse pas communiquer. Apparemment, ils n’ont pas Twitter au Honduras.

- « Ils vont voir ce qu’ils vont voir lorsqu’Obama va se fâcher. »

- finalement, pour un pays régulièrement menacé d’être bombardé depuis des années, pour un pays totalitaire, ils sont relativement cools.

- « quelqu’un veut bombarder le Honduras ? »

L’ancien ambassadeur US au Honduras, qui avait tellement de pouvoir qu’on l’appelait aussi le « proconsul », s’appelle John Negroponte. Il était connu pour couvrir les exactions des escadrons de la mort dans ce pays. De là il organisa la contre-révolution contre le Nicaragua voisin et le Honduras fut littéralement réquisitionné par les Etats-Unis pour devenir la base arrière de l’armée mercenaire « Contra ». 10 années de guerre sale et 40.000 morts qui se résument en une ligne dans son CV.

Bien plus tard, il fut nommé ambassadeur des Etats-Unis en Irak occupé. Méga-pro-consul en somme. Puis il fut plus récemment nommé à la tête du NSA, le méga-service qui chapeaute tous les services de renseignement aux Etats-Unis.

Dans le petit Honduras, un président un peu de gauche a été élu pour la première fois. Il voulait organiser un référendum. L’armée, formée à l’école dite « des Amériques » des Etats-Unis a répondu « non, pas possible ». Le président a dit « c’est pas toi qui commande ». L’armée a répondu « C’est vrai. Je ne fais qu’obéir aux ordres. ». Et bang : coup d’état. L’armée : « alors, c’est qui le chef ? ». On se le demande et personnellement j’ai ma petite idée. (1)

- « je peux te redonner les coordonnées du médecin, si tu les a perdues. »

Finalement, que l’Occident soutienne les opposants en Iran, sans trop se poser la question s’il y a eu effectivement fraude ou pas, ne devrait pas étonner. Il est évident que l’identité du vainqueur les intéresse moins que l’identité du prochain président. Nuance. Après tout, c’est quand même ici qu’un Congrès félon s’est réuni en catimini pour adopter des traités constitutionnels que le peuple avait rejeté. C’est quand même ici qu’on s’est juré de faire revoter les Irlandais jusqu’à ce qu’ils votent « correctement ». C’est quand même ici qu’on a refusé de reconnaître l’organisation que le peuple de Gaza avait démocratiquement élu. C’est quand même ici qu’un président des Etats-Unis a été désigné par la Cour Suprême et non élu. Et c’est encore le même qui est redevenu président alors qu’il avait encore perdu. C’est quand même d’ici que sont parties les agressions militaires contre l’Irak et l’Afghanistan.

C’est quand même ici qu’a été démontré maintes fois l’attachement de l’Occident aux droits de l’homme et à la démocratie, attachement qui est sincère, inconditionnel, profond et non négociable.

Sauf si nous avons un truc à vendre et eux les moyens de payer. Sauf si eux ils ont un truc à vendre et nous les moyens de le voler. Sauf si dans l’acte d’accusation les lettres I-S-R-A-E-L apparaissent (de préférence dans cet ordre - mais ça c’est même pas sûr…). Et sauf, évidemment, lorsque cela ne nous intéresse plus. Ah notre démocratie, elle-même si bien vendue par nos médias, eux-mêmes si bien gérés par nos marchands d’armes.

Tiens, j’ai regardé récemment un débat sur la chaine Al Jazeera, (vous savez, la chaine du Hezbollah - ou du Hamas, au choix). La chaine avait réunie autour d’un plateau des anciens détenus de Guantanamo, leurs avocats, un responsable américain qui tentait de défendre le camp, et même un soldat, ex-tortionnaire. Le débat fut long, courtois, et profond.

- T’as vu ? Al Jazeera, la « chaine des islamistes »… C’est pas ici qu’on verrait un truc pareil

- "Ca c’est sûr,, on pourrait pas faire une émission pareil chez nous…"

- Comme quoi…

- Et heureusement, parce que c’est pas chez nous qu’on verrait une animatrice porter un foulard.

Il n’avait rien remarqué d’autre. Militant pourtant. D’un Parti de Gauche, parait-il. Le choc des civilisations en kit à lui tout seul, genre « Occident über alles ».

Mais bon, finalement, ça m’apprendra de ne pas avoir de télé car on finit toujours par rater un épisode.

Viktor Dedaj
« toutes voiles dehors. »

(1) au moment de rédiger ces lignes, COMAGUER publie une analyse sans faute du personnage. Negroponte, ce héros

En différé du Grand soir

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